Une protection adaptée
Élément d’architecture
Les vitraux constituent, en quantité, un patrimoine de première importance en Europe. Leur immense majorité, est conservée in situ1 , ils sont donc exposés à toutes les intempéries extérieures, à l’humidité ambiante des édifices, aux vandalismes éventuels, etc. Au sein de l’édifice, le vitrail revêt une fonction de clôture de la baie ; ce qui lui donne un statut d’objet immobilier par destination et le place sous la tutelle d’un architecte et non d’un conservateur d’objets d’art.
Lors d’une demande de restauration, cette situation contribue la plupart du temps à privilégier sa fonction au détriment de sa qualité d’objet d’art. Pour le profane, ce sont les lacunes qui inquiètent d’abord et non la peinture qui disparaît.
… et objet monumental
Les vitraux s’inscrivent dans les dimensions monumentales de l’édifice qu’ils ornent. Ce sont des œuvres difficiles d’accès nécessitant de gros moyens d’échafaudage pour chaque intervention, qu’il s’agisse d’étude préalable ou de restauration à proprement parler.
De plus les surfaces concernées sont très importantes ; les budgets d’une restauration de qualité, sont donc conséquents.
Changer l’environnement
Face à une conservation in situ que personne ne remet en cause, nous devons évidemment composer avec une situation particulièrement destructrice pour les vitraux.
Ne pouvant changer ces panneaux d’environnement, l’idée a été de changer leur environnement afin d’enrayer les processus d’altération.
À l’image des grillages de protection, conçus pour protéger les vitraux des agressions mécaniques, des verrières extérieures de protection ont été installées dont l’action protectrice est à la fois mécanique et chimique, avec un effet sur les deux faces du vitrail.
À ce jour, la verrière de protection est le seul moyen mis au point pour la conservation globale2 des vitraux in situ.
Protection des verres contre les agressions mécaniques du type projectiles (grêles, tirs aux plombs, pierres, volatiles), pression des vents
Protection des verres et de la peinture contre l’altération chimique :
Face externe : le vitrail n’étant plus exposé directement ni à l’atmosphère extérieure ni aux eaux de pluie, l’altération des verres est considérablement ralentie3
. De plus, les peintures appliquées en face externe4
sont aussi protégées.
Face interne : grâce au phénomène d’isolation thermique procuré par la verrière de protection, la face interne du vitrail n’est plus soumise aux effets de condensation répétés, ni aux ruis- sellements conséquents.
La peinture et la face interne des verres sont ainsi protégées du processus d’altération.
Protection des plombs5
: la verrière extérieure protège les baguettes de plomb d’une altération chimique (eaux de pluie plus ou moins acides) mais aussi de l’altération mécanique ; en effet, l’exposition aux vents est la principale cause du vieillissement des plombs qui se déforment et finissent par se briser et ne plus remplir leur
fonction.
Protection de la serrurerie6 : l’installation d’une verrière de protection permet également de protéger la serrurerie des phénomènes d’altération chimique.
La protection par verre thermoformé
Le traitement du vitrail a fait l’objet d’un brevet déposé à l’INPI sous le n°9403917.
La verrière de protection assure l’étanchéité face à l’air et à l’eau ; les panneaux sont ainsi libérés de la contrainte du masticage, une opération néfaste pour les peintures et les verres altérés7 .
De même, les panneaux sont libérés des contraintes du scellement dans les maçonneries. Pour obtenir une rigidité suffisante, on peut les sertir dans un châssis métallique indépendant de la serrurerie. Ce dispositif permet de faciliter les manipulations ultérieures8 . La protection du vitrail crée un environnement plus clément qui permet aussi l’utilisation de produits de restauration plus “fragiles”.
Le procédé
Obtenu par thermoformage à partir de l’empreinte de la face externe du vitrail à protéger, le verre est traité dans sa surface extérieure pour reproduire l’aspect du vitrail.
Une réponse adaptée aux problèmes esthétiques et mécaniques de chaque site
Reproduisant l’aspect extérieur du vitrail d’origine dans son relief et sa coloration, les verres thermoformés remédient aux problèmes de reflets des glaces de protection de type float, stadip ou autres…
De plus, ces vitrages en verre monobloc ont une résistance mécanique et une durabilité bien supérieure aux vitrages de protection mis en plomb.
Un système adapté à chaque site
Généralement réalisé en verre float de six millimètres d’épaisseur, le vitrage peut également être sécurisé par feuilletage ou plus rarement par trempage.
La double verrière est fabriquée sur mesure avec un mode de fixation adapté à l’édifice et aux vitraux à protéger. Ce système de protection est applicable aux vitraux de toutes époques.
Mise en œuvre
La réalisation d’une double verrière s’effectue généralement à la faveur de la restauration des vitraux. Les vitraux restaurés sont acheminés à l’atelier de thermoformage. Une patine est appliquée sur la face externe du vitrage selon la coloration en réflexion de la face externe du vitrail. Une prise d’empreinte de la face externe du vitrail est réalisée, sans aucun risque pour le vitrail ancien.
Le verre est thermoformé sur l’empreinte lors d’une cuisson à sept cent soixante-cinq degrés Celsius. Une patine vitrifiable est appliquée sur les reliefs du verre thermoformé correspondant aux plombs du vitrail. Une dernière cuisson à six cent vingt degrés permet la vitrification de la patine “plomb” et la mise en planéité du verre.
Un plomb périphérique est serti autour des vitrages pour les préserver des chocs éventuels lors de la pose sur le site, il les isole aussi des déformations possibles de la serrurerie.
Les vitraux anciens et la double verrière peuvent être posés simultanément ou la double verrière en premier ou en deuxième si d’autres opérations sont nécessaires sur les vitraux.
Il est souhaitable que la serrurerie neuve, fabriquée pour la verrière de protection, soit indépendante de la serrurerie ancienne supportant les vitraux.
Cela permet de conserver une réversibilité simple du système.
Caractéristiques des verres
Les patines vitrifiées appliquées sur la face externe des verres thermoformés sont colorées en réflexion et presque invisibles en transparence.
De par leur composition, ces patines n’ont aucune transmission lumineuse colorée. Elles ne modifient donc absolument pas la couleur du vitrail.
Le traitement de la surface des verres thermoformés supprime les effets de réflexion en laissant cette surface suffisamment lisse pour ne pas être encrassable.
Les verres utilisés pour la fabrication des doubles verrières sont des silico-sodo-calciques de fabrication industrielle, de type “Float”. En verre simple de six millimètres, ils pèsent quinze kilos au mètre carré, en feuilleté, ils ont une épaisseur de neuf millimètres huit et pèsent vingt kilos huit au mètre carré.
Depuis 1994, deux mille deux cent cinquante mètres carrés de verrières thermoformées ont été posées pour la protection des vitraux anciens en France.
Principales réalisations
Cathédrale de Chartres (Eure-et-Loir) : baies basses du chœur, pour une surface totale de cinq cent quarante-sept mètres carrés, rose et lancettes nord nord du transept nord pour une surface de cent dix mètres carrés.
Cathédrale de Bourges (Cher) : baies basses et salle capitulaire pour une surface totale de quantre-vingt-neuf mètres carrés, baie haute sud pour une surface totale de deux cent quarante-six mètres carrés, baie haute nord d’une surface de vingt-et-un mètres carrés.
Cathédrale de Tours (Indre-et-Loire) : baies hautes du chœur pour une surface totale de quatre-cents mètres carrés.
Cathédrale d’Angers (Maine-et-Loire) : baies de la nef d’une surface totale de trente-deux mètres carrés, baies du chœur pour une surface totale de cent soixante-deux mètres carrés.
Cathédrale du Mans (Sarthe) : rose nord du transept nord d’une surface de quatre-vingt-un mètres carrés.
Sainte Chapelle de Paris : vitrail de la travée G d’une surface de trente six mètres carrés.
Sainte Chapelle de Chambéry (Savoie) : vitraux du chœur d’une surface de soixante-douze mètres carrés.
Cathédrale d’Amiens (Somme) : baie d’une surface de trente-deux mètres carrés.
Cathédrale de Poitiers (Vienne) : baie de la Crucifixion d’une surface de vingt-huit mètres carrés, baies ouest du transept nord d’une surface totale de trente-deux mètres carrés.
Cathédrale de Coutances (Manche) : baies du chœur pour une surface totale de vingt-huit mètres carrés.
Église de Mézières-en-Brenne (Indre) : ensemble des baies du XVe siècle pour une surface totale de quarante-quatre mètres carrés.
Et aussi les églises de : Le Faouët, Lababan, Fougères, La Guerche-de-Bretagne, Laval, Saint Divy, Angers (Saint Serge), Paris (Saint-Germain l’Auxerrois), Annville sur Ambour-Ville, Uzerches, Chauvigny, Cour de Manche, Rabastens, Étampes…
Hervé DEBITUS
Maitre-verrier
Laurence CUZANGE
Restauratrice MST, Conservatoire du Patrimoine
- Nous ne traiterons pas ici des vitraux de collections (particulières ou de musée) qui ne représentent qu’un aspect anecdotique des problèmes de conservation des vitraux. ↩
- Cette protection extérieure entraînant aussi des modifications de climat sur la face interne du vitrail permet une prise en compte complète de l’œuvre, à la différence des solutions de protection partielle par simple revêtement sur la face externe de résines vieillissant plus ou moins bien. ↩
- Le processus d’altération du verre est initié par la présence conjuguée d’eau et de gaz tels que SO2 et NO. ↩
- Les motifs des vitraux sont peints sur la face interne. Mais, il existe pratiquement toujours des lavis de rehauts appliqués sur la face externe des verres. De plus, il existe souvent des pièces serties à l’envers lors de restaurations précédentes, et dont la peinture est aujourd’hui sur l’extérieur. ↩
- Les pièces de verre d’un panneau de vitrail sont assemblées grâce à un sertissage dans des baguettes de plomb rainurées. ↩
- La serrurerie est le système d’armatures métalliques qui supporte les différents panneaux constituant le vitrail. ↩
- Les résidus de mastic pénètrent les porosités du verre et des peintures. D’un point de vue chimique, l’acidité de l’huile de lin présente dans le mastic, contribue au processus d’altération. D’autre part, en polymérisant, l’huile de lin se rétracte et peut contribuer à des arrachements de peinture. Enfin, la présence de carbonate de calcium crée des dépôts opacifiants peu solubles qui gênent la lisibilité du vitrail. ↩
- Notamment, les opérations de dépose (décalfeutrement) qui sont habituellement une source de traumatisme importante pour les verres. ↩